« La Guinée est l’un des pays au monde où il y a de plus en plus un grand nombre de jeunes milliardaires sans moyens d’existence connus. Les manifestations ostensibles de nouvelles fortunes inexpliquées, suffiraient en effet à suggérer l’existence d’une activité obscure. Les grosses cylindrées flambant neuves qui circulent dans la ville, les immeubles luxueux qui poussent sur les corniches et des villas de haut standing à l’allure de châteaux qui prolifèrent dans les nouveaux quartiers résidentielsl’ouverture de plusieurs banques privées, des micro-finances et des cabinets de transfert d’argent sont, entre autres signes extérieurs de l’enrichissement illicite. Ces nouveaux riches qui s’exhibent à travers la ville ces derniers temps tirent leurs fortunes du blanchiment de l’argent sale. C’est dangereux pour notre pays… Faisons très attention! Le financement du terrorisme passe par là. » Ce constat sous forme de signal d’alerte de cet homme de Dieu, lors d’un sermon, est loin d’être un simple cri du cœur, mais une réalité qui crève les yeux et qui interpelle tout le monde. (Crédit-photo: Kapitalis, Tunisie).

« L’eau » du blanchiment d’argent sent de plus en plus mauvais en Guinée comme les ordures ménagères qui pullulent actuellement dans la capitale. Combattu dans les pays rompus aux techniques de lutte, le blanchiment après avoir fait le tour de la planète, a atterri à Conakry où il s’est désormais installé confortablement.

Le blanchiment d’argent ou de capitaux qui consiste à cacher l’origine d’une somme d’argent qui a été acquise par le biais d’une activité illégale telle que le trafic de stupéfiant, les activités criminelles, la corruption, la prostitution, le trafic d’armes, fraude fiscale, est aujourd’hui le jeu favori des hauts cadres véreux de l’administration publique, des hommes d’affaires, des commerçants, des Libanais, Chinois, Nigérians, Espagnols, Italiens, Sud-Américains et autres étrangers.

Ce blanchiment est facilité par le fait que les banques de la place ont leurs succursales ou des correspondants dans le monde entier et qu’il n’existe pas de législation anti blanchiment dans le pays ou si elle existe, elle souffre d’un laxisme notoire dans son application.

Tenez ! L’après-midi du jeudi du 25 février 2016, un mystérieux homme d’affaires en provenance d’un pays de la sous-région s’est présenté au guichet d’une banque privée de la place. Ce monsieur, un certain Michael IKelje s’est présenté ce jour-là dans une banque du marché Madina  avec dans son sac une somme de 1 million cinq mille dollars. Cette somme, selon lui, serait destinée à acheter le bois et la noix de cajou. Pour mettre l’argent à l’abri, il a préféré le déposer sur son compte à Conakry. Cet argent, aux dires, de l’homme d’affaires, proviendrait de sa société (Opakj Export, spécialisée dans l’achat et vente de produits agricoles en Afrique de l’Ouest). Elle serait basée à Lagos, au Nigeria.

La banque accepte le dépôt. Seulement voilà. Michael Ikelje ne dispose d’aucun document pour prouver l’existence de la société d’achat et de vente de produits agricoles. Quelques heures après, les services de répression des délits et crimes économiques s’intéressent au compte du sieur Ikelje après dénonciation par un appel anonyme.

Les agents de cellule de répression ne trouvent aucune trace de séjour de Michael Ikelje dans aucun édifice hôtelier de la place. Impossible de retrouver le présumé mandataire de « Opak-Export » que la banque n’a pu identifier. Le pot aux roses vient donc d’être découvert. Il s’agit tout simplement d’une opération de blanchiment d’argent. Les enquêteurs décident de confisquer la totalité de la somme au profit du Trésor public.

Selon notre informateur, ces genres d’opération sont légions dans son établissement. Toutes les banques implantées en Guinée en sont victimes.

Un autre cas récent. C’est celui du richissime Libanais, Kacem Tajedine, le promoteur du Grand Marché de Conakry, sis à Bonfi, dans la commune de Matam. Cet homme d’affaires, multimillionnaire en dollars américains, soupçonné  de ‘’blanchiment d’argent et de financement’’ du mouvement Herzbollah (un groupe islamiste chiite basé au Liban, ndlr), croupit aujourd’hui dans un bagne américain. Recherché par les services secrets américains, il a été interpellé au Maroc, quelques jours après l’inauguration en pompe du Grand Marché de Bonfi. Une inauguration qui a été rehaussée ce jour par la présence du président de la République.

Il faut rappeler que Kacem Tajedine est également ce promoteur immobilier qui a fait pousser de nombreuses maisons à étages flambant neuves sur la corniche, juste derrière le siège national du PUP (parti de l’unité et du progrès), au quartier chic de Camayenne à Conakry. Cette arrestation  est l’une des preuves irréfragables de blanchiment d’argent qui a aujourd’hui touché  la Guinée de flein fouet malgré les efforts de l’existence de la Cellule de Traitement des Informations Financières (CENTIF).

D’importants réseaux, composés de hauts cadres guinéens indélicats, installés dans la capitale, recyclent l’argent sale en toute impunité

Selon une source policière, des Libanais, Guinéens et autres étrangers ont recours au blanchiment l’argent via des investissements immobiliers et l’utilisation des sociétés écrans. Les fonds acquis illicitement, notamment ceux issus de la corruption et des trafics de stupéfiant qui sont généralement en cash, sont directement investis dans l’appropriation d’imposants patrimoines fonciers et l’édification de somptueux immeubles.

Les prête-noms et les hommes de paille sont aussi couramment utilisés dans ce cas. Ces biens immobiliers, à en croire nos sources, sont généralement affectés au patrimoine de sociétés civiles immobilières qui ne sont que des sociétés écrans, gérées par des hommes de main. Là, les établissements commerciaux, comme les quincailleries et les cimenteries sont largement mis à contribution.

Les révélations de ce policier en service à l’Office de Répression des Délits Economique et Financier (ORDEF), sont la parfaite illustration de ce qui est  dénoncé ci-dessus. « En 2012, un ancien ministre a extorqué près de 12 milliards à usage public. Pour ne pas éveiller la vigilance des services de contrôle, cet argent n’a pas été placé dans une banque. Il a été directement versé simultanément auprès des quincailleries à Kagbélén, dans la commune de Dubréka, d’une cimenterie et d’une société de fabrique de tôles. Et le matériel de construction y est retiré en contrepartie. Il bâtit ainsi en 18 mois deux imposants immeubles en plein cœur de Kaloum et crée une société civile immobilière gérée par son épouse qui utilise son nom de jeune fille à cet effet, avec pour actionnaires les noms de ses neveux encore mineurs. Ainsi, la propriété est rétrocédée à la société civile immobilière qui en assure la gestion et reverse les dividendes aux actionnaires », nous a confié cette source policière ayant requis l’anonymat.

Comment certains Libanais et Asiatiques font le blanchiment d’argent par des pseudos gains des jeux de hasard (Casinos, paris urbains et sportifs) ?

Le secteur des jeux de hasard est le domaine par excellence de blanchiment d’argent en Guinée. Selon nos sources, il s’agit ici de faux gains de jeux qui sont réinjectés dans le circuit formel pour brouiller des pistes des enquêteurs sur les crimes commis par les délinquants en amont. Rendus dans un casino…à Kaloum où nous avons essayé de jouer, nous avons constaté la présence de plusieurs hommes d’affaires libanais qui jouaient avec des sommes colossales à vous donner le tournis.

Après un temps sur les machines à sous, nous nous sommes approchés d’un homme en apparence proche de la direction dudit établissement. Celui-ci, après un petit moment d’hésitations, a fini par accepter de nous raconter un cas vécu.

« En novembre dernier, un groupe d’expatriés (Espagnols) évoluant dans la distribution de ciments, de fer et dans bien d’autres affaires, en provenance de Bissau avec dans leur sac de devises, fruit d’escroquerie et du trafic de drogue, a atterri ici. Ils se sont engagés à blanchir de l’argent qu’ils avaient sur eux pour le renvoyer ensuite dans leur pays d’origine où ils comptent directement réinvestir dans l’économie formelle. La direction de l’établissement aussitôt informée, s’est intéressée à l’offre. C’est ainsi qu’ils ont commencé à fréquenter le casino. Une fois à l’intérieur, ils repartissent ces fonds en dix parties qu’ils remettent aux patrons et viennent prendre des tickets pour des montants équivalents à la somme à blanchir pour la soirée. Après quelques heures, ils nous reprennent les jetons comme un gain et exigent un chèque, qu’ils déposent le lendemain dans un compte ouvert dans une banque de la place au nom de l’un d’entre eux. Ces fonds sont transférés progressivement vers un autre compte ouvert dans le pays d’origine au nom d’une société écran, ayant pour actionnaire les dix complices. Cette opération est répétée plusieurs fois dans des casinos différents jusqu’à épuisement des fonds escroqués ou issus du trafic de drogueAllez-y voir aussi dans les casinos appartenant aux Chinois ! C’est la même scène », nous a révélé cet interlocuteur anonyme.

En résumé de ce fait banal qu’on nous a raconté, ces mafieux opérant le blanchiment d’argent noir, une fois à Conakry, se rendent dans les casinos où ils se procurent des jetons en échange d’argent comptant pour ensuite encaisser leurs jetons sous forme de chèque. Après ils s’introduisent dans les banques.

Les vendeurs de véhicules d’occasion impliqués dans ce monde des finances noires  

Au cours de notre enquête, on nous a alerté également que le commerce de véhicules d’occasion  sur le marché local, constitue une technique utilisée régulièrement pour blanchir des fonds requis de manière illicite à l’étranger, surtout dans les pays développés où ces véhicules sont bon marché. Ainsi, un individu sans fortune, ni revenu légalement déclaré, se retrouve subitement à la tête d’une grande entreprise spécialisée dans la commercialisation des véhicules d’occasion.

Après enquêtes, il s’est avéré que cette personne est un maillon local d’un réseau  international du trafic de stupéfiants et de blanchiment de capitaux. Ses complices qui exercent en occident, convertissent le produit de leurs trafics dans l’acquisition de véhicules d’occasion qu’ils expédient en Guinée pour les revendre. Les fonds leur sont renvoyés et utilisés en toute quiétude.

Le recours aux associations caritatives et religieuses

Ce type d’organisation est couramment utilisé dans le processus de blanchiment. Les Etats n’étaient pas très regardants sur l’origine de ces fonds supposés être destinés au financement des activités caritatives et religieuses. Les Nations unies ont démontré dans un rapport publié en 2004 que les organisations sont utilisées abusivement à des fins terroristes

Les patrons des régies financières publiques et employés de banque aussi mis à contribution

Selon un responsable d’une des plus grandes banques privées de la place, les DAF (directeur administratif et financier) des ministères et autres responsables des services financiers de l’administration publique, sont les principaux acteurs du blanchiment de l’argent issu de la corruption. Comme quoi, ils procèdent par les placements financiers dans les banques. « La complicité des employés de banque à l’effet de faciliter l’intégration des fonds incriminés est nécessaire. Ces «délinquants» financiers souscrivent ainsi des bons de caisse ou d’autres titres publics (bon de trésor, obligation de trésor) émis par les établissements de crédits pour dissimuler des fortunes amassées illégalement. Ces fonds sont réinjectés dans le circuit au bout d’un certain temps sans qu’on ne puisse justifier leurs origines. Il en est de même pour les dépôts à terme où d’importantes sommes d’argent sont immobilisées dans les livres bancaires sans que leur provenance ne soit justifiée », nous a expliqué cette source.

A côté des placements, il y a aussi la participation à l’actionnariat de grandes sociétés. C’est une autre méthode de blanchiment couramment utilisée. Elle consiste à la prise de participation au capital des sociétés, soit directement, soit par l’utilisation des prête-noms. Cette technique, aux dires d’un banquier, a l’avantage de couvrir les actionnaires sous le sceau de l’anonymat des titres de capital.  C’est une technique propice à l’utilisation des hommes de pailles. C’est le cas d’un homme d’affaires libanais rencontré lors de notre enquête, quand on s’est fait passer pour des démarcheurs venus de la Côte d’Ivoire. Il est propriétaire d’un petit super marché dans un quartier huppé de Conakry et qui lui sert de couverture. Il se déclare commerçant. Mais son activité principale est le trafic d’œuvre d’art à travers un réseau qui vole les pièces originales (masques, des statuts et autres objets) du pays et les exporte frauduleusement vers l’Europe. Cette activité lui rapporte des centaines de millions de devises. Pour blanchir cet argent, il se porte acquéreur, au nom de ses enfants, des actions dans diverses sociétés anonymes fiables de la place. Tous ces placements étant sur des titres au porteur, aucune trace n’est laissée par le produit de ses activités illicites.

Si l’on se réfère à ce qui est dénoncé ci-dessus, c’est le système financier guinéen (des banques au secteur des assurances en passant par celui des changes, des transferts avec une grande prévalence au niveau des circuits informels…) qui constitue le terreau fertile aux crimes économiques  et financiers.

Ainsi en se ramifiant et en s’internationalisant, le système financier a permis à l’argent noir de mieux se cacher, mieux se mouvoir et mieux se valoriser parfois loin de son lieu géographique d’origine.

Une enquête réalisée par Louis Célestin, à Conakry pour Guineenews©