‘’Alpha Condé ne s’est pas encore prononcé’’, entend-on depuis trois ans, au sujet de la modification constitutionnelle dont les velléités animeraient le chef de l’Etat. Pour d’aucuns, la posture relève de la prudence. Pour d’autres, elle sert à refréner la poussée contestataire qui sommeille chez bon nombre de Guinéens. Mais en réalité, Alpha Condé ne s’est-il toujours pas prononcé ? A la date de ce 23 mars, la réponse à cette question est si. Alpha Condé se prononce de plus en plus sur l’actuelle constitution. Certes, conscient de la sensibilité du débat et des risques dont celui-ci peut être porteur, il y va avec une extrême prudence, et surtout, évite pour le moment les points les plus délicats de la question. Mais à n’en pas douter, Alpha Condé y arrive à sa manière.
15 mai 2016…
Rappelons tout d’abord que 5 mois après son investiture au titre de son second mandat, c’est Alpha Condé lui-même qui avait lancé la polémique et semé de même les graines de la suspicion. Le 15 mai 2016, en conférence de presse, interrogé par un confrère voulant s’avoir s’il serait tenté d’imiter certains de ses collègues africains dont Denis Sassou Nguesso, en modifiant la constitution, il avait répondu que ce serait au peuple de décider le moment venu. Depuis, il s’en était jusqu’ici tenu à cette ligne. Et il y était d’autant plus à l’aise qu’il passe pour un souverainiste et un nationaliste convaincu. Mais désormais, il commence à passer à l’étape supérieure de ce qui s’apparente à une stratégie bien calibrée au millimètre près. De la souveraineté du peuple à revoir ses textes (y compris la constitution), il passe de plus en plus à la critique même de l’actuelle constitution. Mais il le fait avec une telle subtilité et un désintérêt (feint) si marqué, qu’on ne perçoit pas nécessairement les liens entre les éléments. Pourtant, on devrait…
Deux exemples
D’abord, le 20 mars dernier, présidant la cérémonie d’inauguration du Tribunal de commerce, Alpha Condé flétrit les magistrats qui ne seraient pas suffisamment indépendants de l’argent. Néanmoins, il leur trouve une subtile excuse : ‘’l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’argent n’est pas inscrite dans la constitution’’. La remarque n’a rien d’anodin. Ensuite, hier à l’occasion de la cérémonie de sa distinction par l’université Sonfonia, Alpha Condé dénonce la faible représentativité des femmes dans le jury lui ayant décerné le titre de ‘’Dr. Honoris Causa’’. « Il faut que nous nous battions pour que le genre soit effectivement pris en compte en Guinée », préconise-t-il. Mais là aussi, ajoute-t-il, presqu’innocemment : « cela ne peut pas se faire si ce n’est pas affirmé dans ce qui est notre base fondamentale : la constitution ».
Surfer sur des besoins d’ordre général
On le voit bien, à chaque fois, le chef de l’Etat évoque implicitement la nécessité de la réforme constitutionnelle, comme un besoin d’ordre général. Dans le premier cas, l’idée mise en avant, c’est l’indépendance des magistrats vis-à-vis des puissances économiques. Dans le second, c’est de la prise en compte des minorités dont se prévaut le président de la République. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Alpha Condé use de cette approche soft pour essayer de rallier une masse critique de Guinéens à son projet. L’indépendance de la justice ou le sort des minorités ne le préoccupent pas aussi bien qu’il le laisse croire dans les discours que nous avons rapportés. Mais il compte sur le fait que ce sont des préoccupations chères au reste des Guinéens. Et il espère surfer sur la sensibilité de certains de ses compatriotes à ces causes pour les entraîner. La naïveté de ces derniers pouvant l’y aider. Mais en réalité, son projet à lui, est ailleurs. Il s’agit de trouver la parade pour faire bouger les lignes, en vue de lui permettre d’aller au-delà du cap de 2020. Et bien entendu, toutes les options sont sur la table: nouvelle constitution, amendement de l’actuelle ou le glissement. Peu importe, seul le résultat tient à Alpha Condé. Et c’est à cela qu’il travaille désormais. Tout le reste n’en est que l’habillage. A leur tour, les Guinéens ne devraient pas être dupes.
Boubacar Sanso BARRY