Les partisans de l’adoption d’une nouvelle constitution ne résistent donc pas à la tentation. Après la manifestation du FNDC du jeudi 24 octobre et l’impressionnante foule qu’elle a drainée dans les rues de Conakry, le camp adverse entend sonner la riposte. Un accueil qui se veut grandiose, lui aussi, est ainsi annoncé à l’occasion du retour du président Alpha Condé de son séjour en Russie où il a pris part au premier sommet Russie-Afrique. Cette grande réception – hasard du calendrier ou pas – est prévue une semaine jour pour jour après la manifestation des opposants à la nouvelle constitution. Ce schéma du face-à-face et de confrontation, entre d’une part, les pro-nouvelle constitution, et de l’autre, les opposants à la réforme constitutionnelle, on le vit depuis des mois, avec d’un côté et de l’autre, une dose inquiétante de passion. Inquiétude d’autant plus justifiée que ce bras de fer entre les Amoulanfé (ça ne marchera pas) et les Alanmanè (ça marchera) a déjà entraîné des arrestations, des blessés et même des pertes en vies humaines. Hélas. Dans un tel contexte, la réception annoncée du président Alpha Condé par ses partisans n’est-elle pas porteuse d’une confusion de genres qui pourrait accentuer encore les risques d’affrontement entre les deux camps en présence ? Telle est la question qui guide cette réflexion.
Alpha Condé au-dessus de la mêlée
Dans le débat relatif à l’adoption d’une nouvelle constitution en Guinée, Alpha Condé s’est toujours présenté au-dessus de la mêlée. A nos confrères sénégalais, il avait dit qu’il observe le débat à propos. A Kindia, à ceux qui s’étaient mobilisés pour l’inviter à adopter une nouvelle constitution, il avait dit avoir saisi leur message, mais qu’il attendait d’écouter d’autres Guinéens avant de trancher. Enfin, le 4 septembre 2019, en engageant son premier ministre à ouvrir les consultations nationales, il avait dit vouloir écouter toutes les parties. Sur la base de cette logique, le président de la République peut-il s’afficher au côté d’un camp au détriment d’autre ? Surtout que par rapport à la manifestation projetée du jeudi prochain, il y a un détail supplémentaire qui devrait l’en empêcher. En effet, son séjour en Russie, le chef de l’Etat l’a effectué non pas au nom d’un parti politique, mais en tant que président de la République. Autrement président de tous les Guinéens, aussi bien les pro que les anti-nouvelle constitution. Aussi, l’autre question est celle de savoir si un seul des camps en présence peut-il s’octroyer le droit exclusif d’accueillir un président de la République qui rentre d’une mission officielle au nom de tout le pays ? De même, peut-on dénier à ceux qui sont opposés à la nouvelle constitution de profiter, à leur tour, de ce retour pour signifier au chef de l’Etat leur position ?
Après la marche du FNDC du jeudi 24 octobre 2019 qui aurait mobilisé 1.500.000 personnes selon les organisateurs et 30.000 personnes selon le gouvernement, le parti au pouvoir semble avoir atteint par le syndrome de la mobilisation des masses. Ce qui est naturellement un exercice normal dans une démocratie en bonne santé.
Quid des risques d’accrochages ?
Mais de là à vouloir organiser une mobilisation aux couleurs et slogans du ‘’Oui’’ à la nouvelle constitution, à l’occasion du retour du chef de l’Etat qui rentre d’une mission d’Etat, et qui d’ailleurs s’est déjà engagé à se mettre au-dessus de la mêlée et de toutes les passions qui se dégagent autour de ce sujet, il y a comme un mélange des genres, une confusion des statuts et même un soupçon du deux poids deux mesures de la part du chef de l’Etat lui-même. Si le parti au pouvoir veut répondre au défi de la mobilisation lancé par le FNDC, qu’il laisse la place à la CODENOC, l’équivalent du FNDC. Il faut ensuite que cette dernière organise sa mobilisation grandeur nature, en dehors de l’agenda du Président de la République qui n’avoir choisi aucun camp. Même si certaines sorties tendent à le contredire.
Si le RPG-AEC mobilise des personnes qui vont crier oui à la nouvelle constitution à l’aéroport jeudi pour accueillir le chef de l’Etat, d’autres citoyens dont Alpha Condé est également le président n’auraient-ils pas ce même droit ? Et si ceux-là venaient l’aéroport le jour J pour jouir du même droit, n’y a-t-il pas alors risque d’accrochages quand on sait que le fair-play est une denrée particulièrement rare dans la pratique de la politique dans ce pays ?
A y réfléchir.
Mamadou Oury DIALLO Journaliste, Analyste Politique