A l’occasion du 8 mars, l’association Presse Solidaire a donné la parole à des femmes journalistes guinéennes. Entre harcèlement et marginalisation tant dans les rédactions que sur le terrain, leurs témoignages sont évocateurs.

En plus de l’inégalité salariale, les femmes, de façon générale, particulièrement les journalistes, sont confrontées à beaucoup d’autres difficultés, notamment la marginalisation.

“La précarité du travail pour un journaliste c’est un cas général qui touche et les hommes et les femmes journalistes. Confrontée à la même situation, figurez-vous que les difficultés pour la femme journaliste se multiplient par 5, voire au-delà par rapport à l’homme”, souligne Monique Curtis de l’Alliance Femmes et Médias (AFEM).

Un rôle des figurantes

Monique Curtis de l’Alliance Femmes et Médias (AFEM).

En tant que journaliste et activiste, Curtis constate amèrement que certains patrons de presse ne recrutent pas les femmes pour leurs compétences, mais juste pour une question de coloration de genre.

“Quand un employeur a en face de lui un homme et une femme, il faut que la femme soit compétente 5 fois plus que l’homme pour espérer être recrutée. Autre chose, certains recrutent des femmes journalistes pour juste éviter d’avoir une rédaction homogène. Mon expérience m’a permis de voir ce genre de situation. Donc, est-ce qu’on recrute des femmes pour leurs compétence ou est-ce qu’on recrute les femmes pour avoir du monde autour de soi ou juste faire des figurantes? Je parle sur la base de données. Parfois, vous vous retrouvez devant un manager qui vous dit carrément qu’il est difficile d’employer une femme parce qu’elle va avoir un enfant, des congés de maternité, elle va être empêchée parce qu’il y a son enfant qui est malade. Mais, je le dis et je le répète, s’il n’y avait pas eu de femme il n’y aurait même pas un manager de presse. Je pense qu’il est important de prendre chacun selon sa valeur ajoutée et de tenir compte de ses spécificités. Ce n’est pas une faveur, mais c’est la nature qui le fait ainsi. Est-ce qu’un homme serait content que son épouse, sa sœur ou sa fille perde son boulot parce qu’elle était en congés de maternité? Est-ce qu’il serait content si elle perdait son boulot parce que dans l’année elle a pris trois congés pour être au chevet de son mari ou de son enfant?” souligne-t-elle

Marginalisation dans les rédactions

Djenab Diallo, Directrice administrative et financière du groupe Gangan TV

Actuelle directrice administrative et financière du groupe Gangan TV, Djenab Diallo est aussi journaliste reporter d’images (JRI). Elle déplore la marginalisation des femmes journalistes dans les rédactions. “On confie les émissions de grande écoute aux hommes au détriment des femmes qui se retrouvent dans des émissions banales. Une femme journaliste peut passer 5 ans dans une rédaction et un homme moins expérimenté vient la coiffer. C’est dire que les hommes ont plus d’opportunités que les femmes non pas par manque de compétences, mais juste une marginalisation totale. […] ça me choque et croyez-moi, j’en parle à mes consœurs en leur disant que le combat contre cette marginalisation doit continuer parce que nous méritons notre place. Je n’ai pas envie d’abandonner, plutôt de continuer le combat, de prouver que nous femmes pouvons aussi révolutionner ce secteur”, martèle Djenab.

Mariam Kanté, journaliste à Inquisiteur.net

Abondant dans le même sens, Mariam Kanté, journaliste à Inquisiteur.net, estime que les médias doivent être plus équitables entre les hommes et les femmes journalistes. “Les avantages dans une entreprise doivent être profitables pour tous les travailleurs (hommes et femmes). J’ai eu des confidences de consœurs qui m’ont dit qu’elles ont eu des opportunités d’être rédactrices en chef, mais que le patron de presse a dit non, qu’elles ne peuvent pas parce qu’elles sont mariées et ont des enfants. Je ne pense pas que le statut social de la femme puisse impacter sa profession. Comme les hommes, les femmes peuvent bien prendre les rênes d’une rédaction. Actuellement, si on prend l’exemple sur certains médias guinéens, Djoma, Fim, Hadafo, il y a des femmes qui occupent des postes de responsabilité. A Hadafo par exemple, il n’y a que des rédactrices en chef. Elles ont été choisies par rapport à leurs compétences. Elles ont pu atteindre ce niveau parce qu’elles ont été encadrées et aujourd’hui elles portent toute la responsabilité de ces entreprises de presse. Il faut qu’on sorte de ces idées sexistes”, renchérit Mariam Kanté.

Harcèlement sexuel

Adama Hawa Bah, journaliste à Guinee360.com.

Parmi les problèmes auxquels les femmes journalistes sont confrontées, figure en bonne place le harcèlement sexuel. “J’ai été victime de harcèlement plusieurs fois, mais pas au sein de ma rédaction. Sur le terrain, cela arrive souvent que ça soit des acteurs politiques parce que je suis sur tous les fronts. Une fois, c’était à l’approche du double scrutin de mars 2020, je suis allée interviewer un politique chez lui. C’était vers 13h et il etait seul dans la cour. On s’est installé dans la terrasse pour faire l’interview. Quand on a fini, c’était des avances qui m’ont mise mal à l’aise. J’ai voulu partir, il m’a carrément dit que je ne pouvais sortir et qu’il n’avait pas fini de me dire ce qu’il avait à me dire. En réalité, il voulait autre chose de moi. Pour échapper de ses griffes, je lui ai dit que toute notre conversation était enregistrée, et que ma rédaction était au courant que j’étais chez lui. Donc si je ne rentrais pas dans maximum 15 minutes, ils allaient venir me chercher. C’est ainsi qu’il m’a laissée partir. Pratiquement le harcèlement c’est tout le temps sur le terrain. On passe nos contacts parce que nous voulons des informations, mais après c’est des appels, des sms qui insistent à nous voir et quand on se voit c’est tout sauf les relations professionnelles. C’est tellement embarrassant que parfois on a envie d’abandonner, mais on reste parce que c’est une passion. […] Je n’ai pas subi d’agression de la part des confrères, mais le harcèlement existe bel et bien. Certains confrères même quand tu leur dis que ce n’est pas possible, ils persistent et ça devient saoulant. Ce sont des vrais harceleurs”, dénonce Adama Hawa Bah, journaliste à Guinee360.com.

Aminata Pilimini Diallo, fondatrice du site Actu-elles.info

Aminata Pilimini Diallo, fondatrice du site Actu-elles.info, en a, elle aussi, été victime. Elle témoigne: “On a des sources qui nous harcèlent beaucoup, qui veulent toujours nous inviter. A part ce qui se passe entre nos chefs et nous au sein des rédactions, on a cet autre phénomène où nous femmes journalistes sortons tendre nos micros à des hommes qui nous minimisent dans ce métier et puis qui nous invitent.  Au lieu de répondre à nos questions, ils préfèrent nous poser des questions eux-mêmes, d’aller prendre un petit déjeuner, aller prendre un verre, aller dans un hôtel… Après ça il y a d’autres difficultés qui ne sont peut-être pas le harcèlement. Il y a par exemple les femmes journalistes qui partent sur le terrain politique, notamment dans les manifestations qui n’arrivent pas à courir derrière le gaz lacrymogène et les cailloux. Il y a aussi des femmes journalistes qui n’ont pas de place dans les rédactions, parce qu’elles se minimisent parfois et leurs chefs les minimisent. Ce sont des difficultés parce qu’elles n’osent pas et parce qu’on ne leur donne pas le courage”, confie cette journaliste et porte flambeau du mouvement féministe guinéen.

Kadiatou Thierno Diallo, membre de l’Association des Journalistes de Guinée (AJG)

Avec une trentaine d’années de carrière, Kadiatou Thierno Diallo a été la première femme journaliste à travailler à l’Agence guinéenne de presse (AGP). En ce qui concerne le harcèlement, elle soutient n’en avoir pas été confrontée. “C’est la femme qui se vend. De par ta façon de t’habiller, de par ta façon de t’adresser aux gens… Si tu t’habilles comme des petites filles, muni-jupe par exemple, tu vas sur le terrain, personne ne va te regarder, ça au moins c’est clair. Mais si tu t’habilles bien, personne ne va oser. Cela dépend de toi. Moi on m’appelait dès fois la pagneuse. Si je n’étais pas en pagne, j’étais en robe longue. Je ne poussais personne à venir vers moi. Quand je viens vers toi : monsieur bonjour, vous allez bien ? Je te respecte, tu ne vas pas dépasser quand-même le cap là. Le harcèlement, je suis d’accord que ça existe, mais des fois ça dépend de nous. Il faut qu’on accepte ça. Il faut que la femme accepte deux choses : tu as la formation, tu connais ce que tu fais, parce que si on discute sur un dossier, tu connais, je connais, tu ne peux pas te foutre de moi. Et tu es habillée décemment, vraiment, personne ne va te manquer de respect. C’est vrai il y a des harcèlements dans les rédactions en audiovisuel, parce qu’on te dit, si tu me suis pas, tu ne vas pas présenter le journal ou tu n’iras pas sur le terrain de reportage. Il y a ça, cela existe. C’est pourquoi, je dis toujours à mes sœurs, formez-vous. Acceptez la formation”, conseille-t-elle.

Faudrait-il prendre toutes les avances pour de harcèlement? Djenab Diallo pense qu’il faut éviter l’amalgame. “Il y a de harcèlement partout. C’est valable dans tous les secteurs d’activités et ça touche tous les deux genres. Mais les femmes sont plus vulnérables. Personnellement, je n’ai jamais subi de harcèlement de mes confrères. Ils m’apprécient et d’autres sont fans de moi et me le disent “je veux sortir avec toi« . Mais je ne prends pas cela comme un harcèlement. Il faut donner parfois la chance aux gens qui t’aiment de te le dire parce qu’on a vu des confrères et des consœurs qui se sont mariés. C’est en cela que je disais qu’il faudrait que nous, femmes journalistes, fassions aussi de discernement entre le harceleur et l’amoureux. Mais si un responsable média dit à une journaliste, il faut passer dans mon lit pour pouvoir présenter le journal ou animer telle émission, je condamne cette pratique parce que c’est du harcèlement que nous devrions dénoncer. J’ai eu a parler avec des consœurs qui n’ont pas pu supporter et qui ont fini par abandonner le métier”, rencherit-elle.

Famille et profession, une difficile conciliation

Certaines difficultés auxquelles sont confrontées les femmes journalistes sont liées aux pesanteurs socioculturelles.  “Si tu as un bon partenaire, il n’y a pas assez de difficultés, parce qu’il y a le ménage qui est là, que tu dois forcément respecter et faire évoluer, tu as ton service. C’est pourquoi j’ai choisi très tôt la presse écrite. C’est les femmes en audiovisuel qui ont des problèmes. Elles ont des contraintes qu’il n’y en a pas en presse écrite. Moi, je n’avais pas assez de problèmes sur ce plan. Mais Dieu aidant, beaucoup s’en sortent. Il faut négocier très bien avec ton partenaire, ça va marcher. En tout cas beaucoup de femmes n’ont pas eu de problèmes de notre temps. Au moment où nous étions journalistes, la façon dont on travaillait, ce n’est pas de la même façon maintenant. Maintenant, on vient dans le journalisme juste, pour venir se présenter, il n’y a pas de formations adéquates. En autre temps, tu ne tombais pas dedans comme ça, il fallait avouer un background. Il y avait l’émulation, il n’y avait pas de difficultés. Maintenant, c’est les femmes même qui se créent des problèmes entre elles-mêmes”, la doyenne Kadiatou Thierno Diallo.

En ce qui concerne la conciliation entre le boulot et la profession, Aminata Pilimini a fait son choix. “Je ne suis pas trop sociale. Je mets en avant ma vie professionnelle, même la famille a arrêté de se plaindre. S’il y a un baptême à la maison et il y a un reportage, je vais au reportage puisque je me dis que c’est le reportage qui va me nourrir. Quand tu n’as rien et tu vas à un baptême dans les familles africaines, tu n’es rien, tu n’as aucune importance. Les affaires sociales ne m’ont jamais bloquée. Mon travail c’est mon travail. Je préfère travailler du 1er janvier au 31 décembre que de laisser mon travail pour aller à une cérémonie”, tranche la militante.

A propos de PRESSE SOLIDAIRE

Créée le 21 mai 2021, PRESSE SOLIDAIRE est une ONG apolitique, non raciale, non confessionnelle ou régionale et à but non lucratif. Elle a pour objectif principal d’être la voix des sans voix, à travers la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, défendre les journalistes et les former dans l’exercice de leur métier.